… rémunérations excessives …

2 remarques préliminaires :

l’inégalité, en soi, n’est pas illégitime : l’effort, la compétence, la préoccupation quotidienne, la puissance de travail, l’intelligence doivent être rémunérées et il n’est pas inutile que la rareté elle même soit payée : l’inégalité mobilise l’envie pour pousser l’homme à se dépasser (et puis, quel que soit le niveau, personne n’accepte de passer chef d’équipe sans l’augmentation qui va avec…)

 par ailleurs, j’ai rencontré au cours de ma carrières des patrons (propriétaires ou non) de très grande qualité et qui menaient les affaires dans l’intérêt de l’entreprise, qui est l’intérêt commun

 il n’empêche …

 quand j’étais en fonctions, il m’est arrivé d’écrire au patron du Groupe Volvo, au nom de la CFDT de Renault Trucks, que je trouvais sa rémunération excessive ; il m’a civilement fait répondre que le Groupe était très attentif à ne pas dépasser la mesure et que la comparaison annuelle avec les rémunérations de ses alter-ego suédois lui paraissait un bon garde fou

 sur le fond : ce n’est pas parce que tout le monde est devenu fou qu’on doit faire comme tout le monde ; lorsqu’on gagne plus de 100 fois ce que gagne un de ses ouvriers, il est indécent de prétendre à quelque justification que ce soit (et il y a des écarts bien supérieurs …)

 quant à, pour se justifier, se comparer à ses confrères, d’une part cela fait penser au mur de la pissotière de l’école primaire (pardonnez la comparaison mesdames, c’était, chez les garçons, à qui laissait la trace la plus haute sur le mur) d’autre part ce mécanisme conduit mathématiquement à la dérive que nous connaissons*

lorsque Warren Buffet et des clubs de milliardaires américains tirent la sonnette d’alarme et prennent conscience que réserver à un très petit nombre de personnes les fortunes et les revenus démesurés, lorsque le FMI s’en préoccupe, on comprend qu’il y a urgence à changer et que si les États ne s’en saisissent pas, les sociétés civiles, pour le faire, se laisseront aller aux comportements extrêmes

Daniel Gendrin

* le mécanisme est imparable : si, PDG de société, votre rémunération est inférieure à la moyenne de celles du panel de comparaison (surtout si ce panel est peu fourni – ce qui était le cas dans l’exemple, la comparaison se faisant dans le cercle réduit des PDG des grandes entreprises suédoises), vous serez augmenté au moins jusqu’à ce niveau ; ce faisant, vous faites monter la moyenne et déclassez toute une série de vos confrères lesquels seront augmentés à leur tour et ainsi de suite ; on comprend que le tauxannuel d’augmentationdes dirigeants soit à 2 chiffres partout dans le monde

… les plus riches s’enrichissent … et alors ?

Challenges nous apprend que les 500 plus grandes fortunes de France se sont enrichies de 25 % en un an et possèdent 10 % de la richesse du pays. Par ailleurs en mai, Christine Lagarde et le FMI s’étonnaient – pour s’en alarmer – que 0,5 % de la population de la planète possédaient 35 % de sa richesse

 l’étonnement m’étonne : cette évolution a simplement pour origines d’une part la détention par des personnes privées des moyens de production et d’autre part le processus d’accumulation du capital, toute cette richesse étant, pour l’essentiel, composée d’entreprises

 la propriété privée des moyens de production, qui nous paraît maintenant naturelle, ne l’a pas toujours paru ; un autre modèle a été testé, celui de leur appropriation par la collectivité

 mais la propriété collective s’est noyée dans le goulag sous sa version étatique et elle n’émerge pas comme un acteur essentiel – hormis dans la banque et l’assurance – sous sa version coopérative ou mutualiste, les Chèque Déjeuner (services) ou Bosch (industrie) faisant figure de belles exceptions

 remarquons en passant que la plupart des personnes dont il s’agit ici – mis à part les cas médiatiques – sont des héritiers qui n’ont pas créé les entreprises qu’ils possèdent, que s’ils sont parfois bien préparés à leurs responsabilités ce n’est pas toujours le cas et que l’entreprise est toujours une aventure collective ; le choix d’en réserver le mérite, le contrôle exclusif de la gestion, la propriété et le profit au seul actionnaire se discute

 nous avons pourtant collectivement choisi, dans la deuxième moitié du XX° siècle, de confier aux entrepreneurs le soin de développer le pays à travers la création et la gestion des entreprises et en échange de ce service public, nous leur en avons laissé la propriété ; et ce choix est très peu contesté

 ce faisant, notre génération espérait en retour la prospérité pour tous, riches et pauvres : la condition pour que ce système soit supportable est qu’il tire tout le monde vers le haut

cela a bien fonctionné en Europe jusqu’à une période récente et si l’on prend une perspective large cela fonctionne encore pour des millions d’humains partout dans le monde (je n’ai aucune illusion sur les conditons dans lesquelles se développent les pays dits émergents, mais je fais partie de ceux qui pensent qu’il vaut mieux être pauvre en Chine maintenant que sous Mao)

les chiffres publiés récement prouvent que les riches s’y retrouvent ; grand bien leur fasse ! Cela fait litière est billevesées affirmant qu’il n’est pas possible de s’enrichir en France ou que nous n’avons pas de bons entrepreneurs

les riches donc s’y retrouvent ; et les autres ?

le coefficient de Gini (qui mesure les inégalités de revenus) n’a pas augmenté en France dans les 20 dernières années (OCDE, 2008). Les écarts des revenus d’activité sont donc restés sous contrôle dans la période. Pour les personnes qui ont une activité.

Mais les gains de productivité, les délocalisations et les carences du système de formation ont abouti en même temps à l’exclusion de toute une partie de la population et à la panne de l’ascenseur social

pour résumer, lorsque les riches utilisent leur fortune pour développer le pays (investir, innover, gagner des parts de marché, créer des emplois …) ils remplissent leur fonction et sont légitimes ; lorsqu’ils dilapident le capital, se trompent de voie, s’endorment sur leurs acquis, ils ne le sont plus et la société est en droit de leur demander des comptes

 quand Pierre Kosciusko-Morizet se plaint du désamour dont souffrent les riches (« on nous déteste, alors qu’on devrait nous remercier de créer des emplois » – citation approximative de mémoire), la bonne réponse est : « chiche ! »

 au fond ce qui est indécent, ce ‘est pas l’accumulation du capital, c’est l’excès de consommation à des fins individuelles (châteaux, yachts, yearlings, jeu etc…) de fortunes utiles à la collectivité et qui sont fruit d’un effort collectif

Daniel Gendrin