… Me Collard et le printemps arabe …

intéressante l’interview, cette semaine, de l’élu FN sur Radio France …

étonnant comme des gens intelligents peuvent se laisser aller à des raisonnements simplistes : l’ordre régnait de l’autre côté de la Méditerranée, le printemps arabe a fleuri, c’est maintenant le désordre, donc c’était mieux avant

reprenons, parce que les 3 premières assertions sont vraies : l’ordre régnait, le printemps a fleuri et c’est le désordre

quel ordre régnait ? … celui d’une famille (Tunisie), d’un clan familial mâtiné d’alliance de tribus (Libye), de l’armée (Egypte) ou d’une minorité (Syrie).

dans toute dictature, le pouvoir est centralisé autour d’une petite équipe, qui se maintient au pouvoir en jouant de deux leviers : la corruption et la terreur … et qui profite largement du système

lorsqu’elle assure le développement du pays et l’enrichissement des personnes, elle peut espérer se maintenir mais quand à l’oppression s’ajoute l’échec économique, c’est la colère et le soulèvement …

comment s’étonner qu’une révolution débouche sur le désordre ? par définition, une révolution c’est d’abord le désordre

la dictature ne tolérant pas d’opposition, personne – individu ou parti – n’est prêt pour la relève, le mouvement est difficile à canaliser après la victoire et il y a peu de chances que ses acteurs aient la compétence pour mettre en place les institutions, gérer la transition puis … laisser la place aux élus

donc les 3 premières assertions de Me Collard sont vraies : il y avait de l’ordre, la révolution est arrivée, c’est le désordre

de là à dire que c’était mieux avant …

je retiens que pour Me Collard, l’ordre d’une bonne dictature vaut mieux que le désordre d’une révolution

quant à moi, je ne sais pas si les peuples ont bien fait de se soulever et je vois bien le prix qu’ils payent mais j’espère que le désordre de la révolution débouchera sur l’ordre républicain

Daniel Gendrin

 

… lettre à un ami Tunisien …

cher ami,

 on prétend que l’occident soutient, au Moyen-Orient, les islamistes contre des peuples qui veulent la démocratie … c’est leur prêter beaucoup de pouvoir … et de volonté …

 le contexte :

 depuis des dizaines d’années les pays arabes sont sous la coupe d’autocrates et de leurs familles

 un jour, un banal incident (un policier qui maltraite un vendeur à la sauvette…) provoque une réaction en chaîne ; elle va mettre le feu partout

 le couvercle a été trop longtemps fermé ; les jeunes, éduqués, sont au chômage et les moyens de communication donnent des possibilités nouvelles ; la bêtise de la répression fait le reste

 lorsque le pouvoir capitule sans trop tarder, comme en Tunisie et en Égypte, il y a des élections ; comment s’étonner de voir les islamistes les gagner ? jusqu’alors persécutés, ils ne sont pas compromis avec le pouvoir précédent ; ils sont organisés, unis, présents partout et assurent la seule aide sociale qui existe … en face, on trouve, dans une myriade de partis, des démocrates désunis et des anciens du régime …

 pourtant la victoire des islamistes est limitée ; si en Égypte elle est nette, en Tunisie ils n’ont pas, seuls, de majorité pour gouverner (et en Libye, après la guerre, ils ne vont même pas gagner …)

 lorsque le pouvoir résiste, comme en Libye et en Syrie, c’est la guerre

 notons qu’au départ, partout, les insurgés ne sont pas des islamistes et que ceux-ci prennent le train en marche ; ce n’est qu’ensuite qu’ils tentent de tirer les marrons du feu et réussissent provisoirement

l’attitude des puissances occidentales

 complice de longtemps des autocrates au pouvoir, la France commence par soutenir celui de Tunis ; lorsqu’elle comprend que tout change, elle s’engage aux côtés des insurgés, participant même de manière décisive (avec la Grande Bretagne et les États-Unis) à la chute de Khadafi

 ensuite, elle prend acte des résultats des élections (Égypte, Tunisie, Libye) et s’accommode des pouvoirs qui s’installent, sans prendre parti plus avant

 la suite …

devant l’incompétence et les échecs des islamistes, la contestation reprend ; le gouvernement est renversé en Égypte et la situation est partout plus incertaine que jamais ; mis à part une demande de libération de Morsi, le silence de la France est assourdissant

 Quant à la Libye, bien malin qui sait ce qui s’y passe vraiment

 en Syrie, la France n’a plus de politique depuis l’apparition d’islamistes dans les rangs des insurgés – de fait, elle ne fait rien, ou presque -, partagée qu’elle est entre son désir de la chute d’Assad et la crainte du surgissement d’une république islamiste de plus

 la Grande-Bretagne a, comme la France, renoncé à toute politique active

 quant aux États-Unis, traumatisés par 2 guerres inutiles et perdues – et rêvant d’indépendance énergétique -, ils s’engagent le moins possible, tout en menant la guerre contre Al Quaïda par des moyens non conventionnels (qui auraient sans doute été plus efficaces et moins coûteux en vies humaines que la guerre d’Afghanistan, s’ils avaient été choisis par Bush en 2001)

l’attitude des occidentaux devant les printemps arabes est faite d’impuissance, pas d’ingérence

à te lire, amicalement,

Daniel Gendrin