… faut-il aider les peuples en révolte ? …

mon papier précédent portait sur l’attitude pas du tout ambiguë de Me Collard à propos des printemps arabes – j’y reviens en fin de texte ; les réactions me conduisent à pousser la réflexion ; malheureusement je vais tricher un peu avec les règles de ce blog : ce texte ne respecte pas la limite des 300 mots ; que ceux qui ont peu de temps me le pardonnent

qu’est-ce que la dictature ?

c’est, par définition (le Robert), « un régime politique autoritaire établi par un individu, une assemblée, un parti, un groupe social »

 elle a, en général, 3 caractéristiques : une gestion des conflits avec les opposants disons … définitive, la corruption et l’incompétence

 NB : en autoritarisme, il y a des degrés : on ne peut confondre Pol Pot, Staline, Hitler, Mao, Videla, Franco, Khomeini, Poutine ou ben Ali : l’ampleur des crimes commis parlent d’eux-mêmes mais dans tous les cas il y a des crimes (assassinats, disparitions, torture, …)

certaines des dictatures sont fondées sur des idéologies (éventuellement religieuses) d’autres sont des entreprises privées ; les unes sont totalitaires (exigent l’adhésion) les autres simplement autoritaires (exigent le silence) ; les premières sont les championnes dans l’horreur

certaines se sentent des vocations messianiques ou impériales (Hitler, Staline, Mao, Saddam Hussein …) ; d’autres gèrent leur fonds de commerce (Ben Ali, les généraux Birmans …)

la corruption est toujours là : il faut bien entretenir l’appareil de répression, acheter les complicités à l’intérieur et entretenir les amitiés à l’extérieur

enfin l’incompétence : les responsables, nommés sous condition d’allégeance et non de compétence, se révèlent presque toujours incapables de développer le pays

je reviens plus loin sur le cas particulier de la Chine

en résumé, la dictature ça n’a que des inconvénients et c’est « l’abomination de la désolation » [Daniel 9 : 27]

en face, il n’y a pas grand-chose fors la démocratie qui est « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » (Churchill) ; favorisant la liberté d’action de chacun, elle laisse les gens libres de leur expression et facilite le développement économique

je prétends que tous les peuples ont droit à la démocratie et le fait est que tous ceux à qui on en laisse le choix s’en saisissent

comment sort-on de la dictature ?

premier constat (réjouissant) : par les temps qui courent, il est plus fréquent de sortir de la dictature que de la démocratie (même s’il y a des aller-retour ou si du chemin reste à faire)

des exemples ?

en Europe : Grèce, Portugal et Espagne mais aussi Serbie, pays européens de l’Est …

plus loin : Corée du Sud, Philippines, Indonésie, Ukraine, URSS, pays d’Amérique latine, Birmanie…

même en Afrique, les coups d’État semblent passer de mode

n’ayons pas d’illusions sur ce qui se passe dans ces pays mais ils sont sortis de la dictature (quitte à y revenir pour certains d’entre eux) même s’ils ne sont parfois que sur la voie vers la démocratie

deuxième constat (plus surprenant) : dans tous ces cas, la dictature est tombée comme un fruit mûr : c’était complètement démodé (Europe), ça ne correspondait plus aux intérêts des dirigeants (Birmanie), cela ne permettait plus de « tenir son rang » (la 2° puissance de l’époque : l’URSS) … quelle que soit la raison, ces dictatures sont tombées non pas sans coup férir (la lutte a été dure et il y a eu des morts partout) mais de leur propre fait, comme si elles s’étaient fatiguées d’être ce qu’elles étaient

troisième constat : la cause de la chute n’est pas politique mais économique : ce contre quoi les peuples s’insurgent, ce n’est pas d’abord d’être privés de liberté mais d’être privés de pain – le contre-exemple est la Chine : tant que la dictature assure le développement, elle ne risque rien ; cela changera avec l’obligation de laisser fleurir l’initiative individuelle (clef de l’innovation, mais contradictoire avec la dictature) et avec le ralentissement de la croissance économique

quatrième constat : ces révolutions se sont faites sous pression internationale : dans tous les cas précités, il y a eu intervention de services secrets, de l’ONU ou d’autres organisations internationales, d’ONG et financement, occulte ou non, d’associations, de syndicats, d’opposants ; dans tous ces cas, nous (terme générique désignant ici les démocrates) sommes intervenus pour faciliter la transition et nous avons bien fait

cinquième constat (plus triste) : lorsque le dictateur résiste, il arrive aussi qu’on n’en sorte pas ; c’est actuellement le cas en Syrie

enfin dernier constat : on ne peut pas libérer les peuples contre eux-mêmes et imposer la démocratie de l’extérieur ; ce … de Georges Bush l’a amplement démontré

est-il légitime ou souhaitable d’aider les peuples à se libérer ?

on pourrait répondre oui par simple solidarité … mais il y a des raisons moins altruistes

corrompus, ces États sont également corrupteurs ; les 50 M€ prétendument versés par Khadafi pour la campagne Française de 2007 ou les trafics d’autrefois (?) dans le cadre de la Françafrique montrent (en faussant nos élections) le danger que font courir à nos démocraties ces États pourris

les dictateurs sont parfois aussi assez fous pour nous attaquer directement : soutien à l’IRA ou attentats contre des avions civils (Khadafi), appui à Al-Qaïda (Mollah Omar) … ou pour chercher à disséminer la bombe atomique ce qui est un danger pour tout le monde (Corée du Nord, Iran)

enfin, le virus de la dictature pourrait être contagieux et nous ne pouvons pas prendre ce risque

il y a des bons et des méchants et il est bon que les bons aident les bons parce que les méchants aident les méchants ; oui, il est légitime et utile d’aider les peuples à se libérer ; ce qui ne dispense pas d’être intelligent

les printemps arabes

je ne reviens pas sur le déroulé ; je l’ai décrit dans ma « lettre à un ami tunisien »

je rappelle simplement ma thèse : dans aucun des cas (sauf en Libye) les puissances occidentales ne sont intervenues autrement qu’en paroles pour soutenir les foules désarmées qui cherchaient à faire tomber ces dictateurs (mot d’ordre : « dégage ! ») ; l’apparition, en Syrie, au cours de la 3e année de la révolte, d’islamistes radicaux a renforcé notre attentisme

quant à la Libye, Sarkosy, en engageant la France, a évité le bain de sang qui s’annonçait à Benghazi ; ce faisant, il a probablement raccourci la guerre et évité des dizaines de milliers de morts.

pour ce qui concerne la Syrie, la Russie et l’Iran soutiennent Bachar, les pays sunnites du Golfe et la Turquie les révoltés et la guerre se transforme sous nos yeux en guerre de religion

mais la présence d’Al-Qaïda sur place n’est que le fruit de notre impuissance ou de notre inconséquence ; c’est vrai que le mal est fait ; sans solution politique, si l’ALS gagne la guerre contre Bachar, elle devra poursuivre contre les islamistes (à l’image de ce qui a commencé dans le Kurdistan Syrien) : la démocratie n’est, nulle part, un long fleuve tranquille

lorsqu’une dictature tombe de sa belle mort, passer à la démocratie n’est déjà pas simple ; lorsqu’elle est chassée par la guerre, c’est infiniment plus difficile ; j’y reviendrai dans un article sur la guerre comme moyen de l’action politique …

en définitive, l’histoire dira s’il était temps pour les peuples des grands pays du Proche Orient de se révolter et de passer en démocratie : on ne devrait plus trop tarder à le savoir en Tunisie et peut-être aussi en Egypte – où tout n’est pas forcément joué ; en Libye, le gouvernement par les tribus devrait se poursuivre (ce n’est pas la démocratie, mais déjà plus la dictature) et bien malin qui peut dire si les Syriens finiront par trouver une solution politique

les armes chimiques

l’utilisation par Bachar El Assad, que la proposition récente de Moscou confirme – prenant à revers les adeptes de la théorie du complot – d’armes chimiques n’est pas sans précédent : Saddam Hussein l’avait fait après la guerre du Golfe contre les Kurdes Irakiens ; cela avait à, l’époque, entraîné la création d’une zone de sécurité aérienne par l’US Air Force à partir de la Turquie avec l’accord du Conseil de Sécurité (étrange que cet épisode n’ait été rappelé par personne …)

l’accord de l’ONU n’est pas possible à cause de la Chine et de la Russie, elles-mêmes sous la menace constante d’avoir à faire face aux révoltes de leurs peuples

faut-il intervenir sans cette permission ou laisser gazer les Syriens ? la question est posée ; si j’étais parlementaire, je suivrais probablement plutôt Juppé ou Védrine en répondant oui

alors Me Collard ?

ne l’oublions pas : celui, qui trouve que « c ‘était mieux avant », est à l’origine de mon premier article sur le Proche Orient ; qu’il préfère la dictature à une situation potentiellement porteuse de démocratie est normal : il est membre d’un parti qui n’a – ainsi que le rappelait justement François Fillon – renié ni Pétain ni l’OAS ni la colonisation et dont le chef défendait autrefois Saddam Hussein simplement comme ce parti envisage d’accéder au pouvoir en France, cela fait froid dans le dos ; en général quand ils accèdent au pouvoir, ils cherchent à s’y maintenir et alors, on n’est plus chez bisounours

 Daniel Gendrin