… les désorientés …

les désorientés, note de lecture

le livre est d’Amin Maalouf et je m’y retrouve … plutôt bien …

ne parlons  pas du style : je ne suis pas critique littéraire ; disons que l’auteur cède à la mode d’écrire un livre à 2 voix, la sienne et celle du héros ; cela dit, il le fait avec un tel brio que le pavé se lit en quelques soirées … quand on arrive à le laisser reposer tout ce temps

ne déflorons pas l’histoire : je n’ai pas le talent nécessaire et veux laisser la surprise ; pour simplifier, le livre raconte l’organisation, autour de la dépouille de l’un d’entre eux, des retrouvailles d’un groupe d’amis de la montagne libanaise qui se sont plus ou moins perdus de vue depuis 20 ans

on comprend un peu mieux – sous la plume d’un expert – les guerres du Liban dans leur complexité, l’humiliation des arabes – qui vont de défaites en défaites depuis 4 siècles, les conséquences de l’invasion juive en Palestine, …

on assiste aux retrouvailles de ces adultes libanais chrétiens, juifs ou musulmans d’origine qui se parlent en arabe et sont, pour la plupart, a-religieux

on comprend l’amertume vis à vis de leurs camarades de ceux qui sont restés sous les bombes et celle de ceux qui se sont exilés, innocents de tout crime mais coupables d’abandon

on retient aussi quelques notions intéressantes, comme cette « année de l’inversion » qui, en 1978/1979, bouleversa le monde de multiples révolutions, entre autres : islamique en Iran ; conservatrice en occident ; capitaliste en Chine ; réactionnaire en catholicité …

ajoutez une écriture époustouflante, une très belle – et très originale – histoire d’amour, une description de l’écrivain assidu à sa table de travail …  oui, ce livre a tout pour plaire

je vous laisse sur une citation : « dans un monde dominé par le veau d’or, je ne suis pas sûr que la priorité des priorités soit d’expulser Dieu … »

… je m’y retrouve, bien sûr …

Daniel Gendrin

… cinq millions, c’est beaucoup ? …

la rémunération de Carlos Tavares, patron de PSA Peugeot Citroën, a fait couler beaucoup d’encre

les arguments des uns et des autres sont connus :

d’un côté les scandalisés disent que rien ne justifie qu’un patron gagne 400 fois ce que gagne le balayeur de son entreprise et qu’il n’est pas moral que les rémunérations de ce type s’accroissent d’un pourcentage à 2 chiffres tous les ans

de l’autre, les libéraux disent que l’engagement de ces dirigeants est permanent, qu’ils font gagner beaucoup d’argent à leur entreprise, que faute de suivre le mouvement, les patrons s’expatrieront et qu’après tout il est plus moral de constituer un patrimoine selon son mérite que de l’hériter

lorsque j’étais syndicaliste, j’ai eu l’occasion d’écrire à Leif Johansson – alors PDG de Volvo – pour contester sa rémunération ; il m’avait alors fort civilement fait répondre qu’elle était fixée par un comité des rémunérations lequel se basait sur la moyenne de celle des dirigeants du secteur

cet argument, évidemment, n’a pas de sens :

  • justifier sa démesure par celle des collègues est étrange
  • par ailleurs, le club des personnes concernées étant très limité, toute augmentation fait monter la moyenne justifiant ainsi l’augmentation suivante ; le mouvement est sans fin et explique la progression à 2 chiffres de ces rémunérations

par ailleurs, l’affirmation selon laquelle le marché imposerait ces écarts n’est pas exacte : Henri Proglio a bien accepté que sa rémunération soit divisée par 5 lorsqu’il a quitté Veolia pour EDF …

enfin dans le cas de Tavares, on peut contester la performance, les décisions ayant assuré le redressement de PSA – capitalisation, gammes, équipement industriel – ayant été prises avant son arrivée

la démesure de ces rémunérations n’a en réalité pas d’autre signification que celle que nous trouvions, à la pissotière de l’école primaire, lorsqu’il s’agissait de pisser plus haut que le copain – mesdames, pardonnez l’image …

s’il est effectivement plus moral de permettre à un cadre de haut niveau de constituer un patrimoine qu’à un fils de famille de l’hériter, l’un n’empêche malheureusement pas l’autre : les mesures fiscales – baisse généralisée des taux marginaux d’impôts – prises dans les années 80 et la faiblesse de la croissance favorisent l’accumulation de la fortune, qu’elle soit le fruit du travail ou de l’héritage

peu à peu se constitue une oligarchie de super-riches, d’abord au détriment des pauvres – les « exclus » – mais aussi, de plus en plus, à celui de la classe moyenne : dans un monde à croissance faible, lorsque les riches s’enrichissent, les autres – tous les autres – s’appauvrissent ;  le capitalisme ne tient plus sa promesse

dès lors, poser la question des rémunérations démesurées en termes moral n’est pas suffisant

l’important, c’est le risque politique que nous fait courir cette évolution : la démocratie ne survivrait pas à l’affaissement de la classe moyenne

il est temps que les politiques reprennent la barre ; autant je ne suis pas Thomas Piketty quand il réclame une politique de relance, autant je partage les conclusions de son livre : il faut revenir à une politique fiscale, au moins en Europe, beaucoup plus sévère là l’égard des super-riches

Daniel Gendrin

… vers l’effondrement ou vers la Renaissance ? …

une étude, mentionnée par le Guardian et par … Sans Abri, commise par le mathématicien de la NASA Safa Motesarri, établit la corrélation entre la chute des civilisations et deux phénomènes très actuels : l’accroissement des inégalités et la surexploitation des ressources naturelles

par ailleurs, l’OCDE et des économistes du FMI disent que l’accroissement des inégalités étouffe la croissance et Thomas Piketty affirme que cet accroissement n’a pas de limite naturelle

par ailleurs il est établi que le dérèglement climatique est anthropique et que nous risquons une catastrophe climatique majeure

en parallèle, l’exaspération des populations, partout, pousse au changement : des Indignés à Occupy Wall Street, de Tsipras, Sanders ou même Trump, aux régimes autoritaires de l’est de l’Europe et à la détestation des politiciens en France …, tout montre que le monde est devenu insupportable à beaucoup

allons-nous vers l’effondrement ou sommes-nous à la veille d’une nouvelle Renaissance ?

tout est possible, parce que bien des signes laissent aussi espérer que la parenthèse Thatcher / Reagan qui nous aura conduit – n’en déplaise à François Fillon – si près du gouffre est sur le point de se refermer

quelques exemples entre mille autres :

  • la CPO 21 montre que les dirigeants ont pris la mesure de la crise climatique
  • la production d’énergies renouvelables émerge
  • le SMIC fait son grand retour, après l’Allemagne, aux Etats Unis et en Grande Bretagne
  • la sécurité sociale obligatoire s’implante aux Etats Unis
  • le secret de l’argent caché disparaît (cf. le scandale des Panama Papers) et – avec les échanges automatiques de données – la plupart des paradis fiscaux ne le seront plus en 2017
  • des milliardaires américains réclament plus d’impôts … pour eux-mêmes …

l’effondrement n’est pas inéluctable et la Renaissance pas impossible ; encore faut-il que l’impuissance des dirigeants ou l’impatience des peuples ne nous fassent pas basculer dans l’aventure …

Daniel Gendrin