la rémunération de Carlos Tavares, patron de PSA Peugeot Citroën, a fait couler beaucoup d’encre
les arguments des uns et des autres sont connus :
d’un côté les scandalisés disent que rien ne justifie qu’un patron gagne 400 fois ce que gagne le balayeur de son entreprise et qu’il n’est pas moral que les rémunérations de ce type s’accroissent d’un pourcentage à 2 chiffres tous les ans
de l’autre, les libéraux disent que l’engagement de ces dirigeants est permanent, qu’ils font gagner beaucoup d’argent à leur entreprise, que faute de suivre le mouvement, les patrons s’expatrieront et qu’après tout il est plus moral de constituer un patrimoine selon son mérite que de l’hériter
lorsque j’étais syndicaliste, j’ai eu l’occasion d’écrire à Leif Johansson – alors PDG de Volvo – pour contester sa rémunération ; il m’avait alors fort civilement fait répondre qu’elle était fixée par un comité des rémunérations lequel se basait sur la moyenne de celle des dirigeants du secteur
cet argument, évidemment, n’a pas de sens :
- justifier sa démesure par celle des collègues est étrange
- par ailleurs, le club des personnes concernées étant très limité, toute augmentation fait monter la moyenne justifiant ainsi l’augmentation suivante ; le mouvement est sans fin et explique la progression à 2 chiffres de ces rémunérations
par ailleurs, l’affirmation selon laquelle le marché imposerait ces écarts n’est pas exacte : Henri Proglio a bien accepté que sa rémunération soit divisée par 5 lorsqu’il a quitté Veolia pour EDF …
enfin dans le cas de Tavares, on peut contester la performance, les décisions ayant assuré le redressement de PSA – capitalisation, gammes, équipement industriel – ayant été prises avant son arrivée
la démesure de ces rémunérations n’a en réalité pas d’autre signification que celle que nous trouvions, à la pissotière de l’école primaire, lorsqu’il s’agissait de pisser plus haut que le copain – mesdames, pardonnez l’image …
s’il est effectivement plus moral de permettre à un cadre de haut niveau de constituer un patrimoine qu’à un fils de famille de l’hériter, l’un n’empêche malheureusement pas l’autre : les mesures fiscales – baisse généralisée des taux marginaux d’impôts – prises dans les années 80 et la faiblesse de la croissance favorisent l’accumulation de la fortune, qu’elle soit le fruit du travail ou de l’héritage
peu à peu se constitue une oligarchie de super-riches, d’abord au détriment des pauvres – les « exclus » – mais aussi, de plus en plus, à celui de la classe moyenne : dans un monde à croissance faible, lorsque les riches s’enrichissent, les autres – tous les autres – s’appauvrissent ; le capitalisme ne tient plus sa promesse
dès lors, poser la question des rémunérations démesurées en termes moral n’est pas suffisant
l’important, c’est le risque politique que nous fait courir cette évolution : la démocratie ne survivrait pas à l’affaissement de la classe moyenne
il est temps que les politiques reprennent la barre ; autant je ne suis pas Thomas Piketty quand il réclame une politique de relance, autant je partage les conclusions de son livre : il faut revenir à une politique fiscale, au moins en Europe, beaucoup plus sévère là l’égard des super-riches
Daniel Gendrin