la contradiction ? c’est celle devant laquelle le François Hollande du « mon ennemi c’est la finance » s’est retrouvé en découvrant la nécessité de remettre les entreprises Françaises à flot
1) pourquoi remettre les entreprises à flot
1.1) personne – sauf peut-être Mélenchon – ne souhaite refaire l’expérience de l’appropriation collective des moyens de production
si l’expérience communiste a tourné – après bien des massacres – au fiasco, ce n’est pas par hasard ou par incompétence, c’est parce qu’elle est inopérante par nature : lorsque la collectivité s’approprie les moyens de production, les impératifs politiques entrent en concurrence avec les impératifs de gestion ; au final, ni les uns ni les autres ne sont atteints
au mieux, on a l’Allemagne de l’Est, une nation triste et égalitaire mais totalitaire, au pire l’URSS ou la Chine avec la misère en plus du totalitarisme meurtrier
donc personne – ou presque – ne rêve plus du communisme
dès lors l’entreprise privée – capitaliste ou coopérative – assure l’essentiel de l’emploi
1.2) par ailleurs, nous vivons dans un monde ouvert
certains ont la tentation de fermer les frontières ; parmi ceux-là, peu sont disposés à en payer le prix ; l’expérience d’Obama imposant des droits de douane massifs aux pneumatiques chinois s’est révélée inopérante en termes d’emplois et dispendieuse pour les américains qui ont – évidemment – payé leurs pneus plus cher
nous vivons donc dans un monde ouvert et ce n’est pas l’élection présidentielle française qui y changera quelque chose – avec ou sans Montebourg, Le Pen, ou qui vous voulez
en conséquence, nous pouvons acheter et vendre dans le monde entier … et nous achetons, de préférence … le moins cher
si les produits français sont plus chers, personne ne les achète – pas plus les Français que les étrangers
1.3) poursuivons : si les camions de Renault Trucks sont fabriqués à Bourg en Bresse et pas dans l’usine de Gand en Belgique, et si le Groupe Volvo continue à investir en France, c’est parce que les conditions de fabrication sont comparables ; pourquoi voudriez- vous qu’il en aille autrement ?
l’affaire d’Alstom Belfort illustre parfaitement mon propos : sous la pression médiatique, l’Etat achètera des locomotives à un prix plus élevé que celui du marché parce qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait – productivité, environnement économique – pour qu’elles soient au niveau de prix de celles des concurrents ; les contribuables paieront la différence et rien, au fond, ne sera réglé
si vous voulez que monsieur Volvo, monsieur Bouygues ou monsieur Vuitton fabriquent en France – et pour cela y investissent leur argent – il faut qu’ils y trouvent leur compte autant qu’ailleurs en Europe, sinon ils investissent ailleurs ; c’est aussi simple que cela
1.4) et si vous interdisez la sortie des capitaux – outre que c’est contraire à tous les traités et à supposer que ce soit possible à l’heure de l’argent virtuel et en pays de liberté – vous tarissez les investissements étrangers : personne n’investit dans un pays s’il ne peut récupérer un jour son argent
1.5) conclusion : si les conditions de fabrication des produits en France ne sont pas comparables à celles que l’on trouve dans les grands pays voisins, l’investissement baisse et avec lui l’emploi ; en parallèle, les caisses de la France se vident
c’est la raison pour laquelle Hollande, tournant le dos à la tradition socialiste – à la tradition française des 40 dernières années, droite et gauche regnante – a mené une politique visant à rétablir les marges des entreprises
les gens qui compliquent les choses appellent cela une politique de l’offre ; j’appelle cela une politique de bon sens : le coût de revient des produits fabriqués chez nous ne doit pas être significativement supérieur à celui de ceux de nos grands voisins
quoi qu’en dise le patronat – qui est dans le « toujours plus » et joue la droite aux prochaines élections – cette politique a été couronnée de succès, les marges des entreprises étant maintenant supérieures à ce qu’elles étaient en 2008 ; d’ailleurs, l’investissement et l’emploi reprennent
on peut regretter qu’Hollande ne l’ait pas fait tout de suite – il a fallu attendre le rapport Gallois – et qu’il ne l’ait pas annoncé au cours de sa campagne ; sans doute ne le savait-il pas et n’en a-t-il compris la nécessité qu’en situation
la primaire socialiste pour 2017 va enfin, j’espère, trancher le noeud gordien qui lie la gauche à une pensée économique puérile
NB : les conditions de fabrication, cela inclut outre les coûts, la réglementation, les normes etc …
2) « mon ennemi c’est la finance »
remarque préalable : cette phrase est un propos d’estrade qui n’a pas grand sens en soi : la finance est indispensable à la création des outils industriels, personne ne peut s’en dispenser et on ne peut ni l’aimer ni la détester
cela dit, la phrase, dans son contexte, rend compte du sentiment quasi universellement partagé que les détenteurs de capitaux ont pris dans le monde un pouvoir injustifié et démesuré
injustifié parce qu’il n’est pas lié au mérite – l’héritage assurant une part croissante des revenus – et démesuré parce que tout se passe comme si les politiques n’étaient plus que des masques impuissants cachant les financiers, comme si nous n’étions plus en démocratie ; ce n’est pas encore le cas, mais la bataille est engagée qui oppose les peuples à un petit groupe de personnes
pour une brève parenthèse historique, puisons dans le livre de Rocard : Suicide de l’occident, suicide de l’humanité
au début de la décennie 70, se succèdent : la fin des accords de Bretton Woods (étalon-or), le Rapport du Club de Rome (croissance zéro), le choc pétrolier, l’évolution vers des marchés de renouvellement de l’équipement des ménages, les premières réflexions sur la finitude des ressources, l’interruption de la baisse du temps de travail : division par 2,4 en 200 ans, stabilisation à 1700 h/an depuis 40 ans)
moindre croissance et interruption de la baisse du temps de travail donc accroissement du chômage ; il n’y a aucune raison que cela s’inverse
en parallèle apparaissent les fonds de pension ; le prélèvement actionnarial sur la richesse produite double – presque – en trente ans et la fidélité des hauts dirigeants est achetée par des rémunérations délirantes, liées en principe – pas toujours – à l’évolution de la valeur de l’action
laissons Michel Rocard : son livre fait 400 pages et je n’ai pas la place de le résumer ici
ce à quoi nous avons assisté – contribué, puisque c’est ma génération qui l’a fait – c’est à une victoire en rase campagne des idées selon lesquelles il est bon que les riches s’enrichissent
au crédit de cette évolution, il faut mettre le développement spectaculaire des pays émergents
pour le reste, j’ai déjà eu l’occasion d’écrire que cette philosophie ne me poserait pas problème – compte non tenu de l’utilisation effrénée des ressources de la planète – si elle conduisait à une amélioration du sort des pauvres ; mais l’expérience – 40 ans déjà – prouve que – comme l’affirme sans relâche le Pape François – la théorie du ruissellement est clairement infirmée : l’enrichissement des riches ne profite pas aux pauvres
au contraire – si l’on fait exception des pays en rattrapage comme la Chine – ce mouvement se traduit non seulement par un envol des inégalités mais – c’est nouveau – par l’appauvrissement des pauvres : lorsque la production croît de 1%, si les revenus des plus riches s’accroissent de 2%, ceux des plus pauvres baissent – il faut bien que l’argent soit pris quelque part
on en voit la conséquence dans la distribution des patrimoines ; si tout le monde sait que 50 % des biens sont détenus par 10 % de la population, peut-être sait-on moins que 1 % possède 40 % des biens ; comme l’évolution de ce pourcentage est de plusieurs points par an, dans peu d’années – moins d’une génération – ce seront très peu de personnes qui possèderont le monde
en parallèle on constate l’effroyable effritement de la morale publique : entreprises et individus volent le fisc avec la meilleure conscience du monde et parfois même en respectant la lettre de la loi
les exemples sont légion et les outils – paradis et conseillers fiscaux, argent virtuel, règlementations absurdes … – infinis
NB : dans le traitement médiatique réservé à l’affaire Cahuzac un point est passé sous silence : celui qui a fraudé, c’est le toubib, ce n’est pas le ministre … c’est entendu, c’est d’autant plus grave qu’il a été nommé ministre et en charge de la fraude – si le ridicule ne tue pas, ça fait mal quand même – mais c’est bien un toubib, un commerçant, un chef d’entreprise qui a fraudé
la fraude n’est pas nouvelle, elle a toujours existé ; ce qui est nouveau, c’est l’importance démesurée des fortunes détournées : des milliers de milliards d’€ sont dans les paradis fiscaux
on revient aux temps bénis – pour une partie de la population – du XIX ème siècle où la pauvreté et l’extrême richesse voisinaient sans se voir
tout cela nous fait courir deux risques :
le premier est, pour la plupart d’entre nous – ceux qui ne font pas partie des happy-few -celui de s’appauvrir car le fossé se creuse aussi entre les très riches et les riches ; si on en arrive à la situation d’avant la guerre de 14, il restera 2 % de riches ; tous les autres seront pauvres ou très pauvres
le deuxième risque est plus immédiat : le mécontentement des peuples – on les comprend – conduit partout à des envies de changement qui sont canalisées, avec l’aide consciente de Daech, vers l’extrême droite laquelle se confond, en France – cf. la campagne de Sarkozy – de plus en plus avec une partie de la droite et il n’est plus exclu que Marine Le Pen soit notre prochaine présidente …
3) quelques signaux positifs
des politiques ont fini par se saisir de la question et on commence à en voir les effets
dans le discours
- le FMI, l’OCDE et même Davos disent que les inégalités tuent la croissance et deviennent une question centrale
- des milliardaires américains demandent à être plus imposés
dans les faits
- nombre de villes américaines imposent un accroissement du SMIC
- aux USA les banques sont lourdement pénalisées pour leurs malversations
- les outils de régulation bancaire se mettent en place partout
- la circulation automatique des données s’impose progressivement
- des paradis fiscaux ont été mis au pas
- la Commission Européenne change de philosophie et impose un redressement à Apple
ce n’est peut être qu’un début, mais c’est un bon début …
4) qu’en conclure ?
4.1) dans un monde ouvert, si les locomotives de Belfort sont plus chères (15% paraît-il) que les locomotives allemandes, la SNCF achète allemand ; il faut ramener nos coûts de production au niveau de ceux de nos grands voisins ; Hollande a raison de contribuer à cet objectif
4.2) la politique dite – improprement – financière accroît démesurément les inégalités ; elle conduit à un appauvrissement du plus grand nombre et à un risque politique majeur ; Hollande a raison de dire « mon ennemi c’est la finance » même si l’expression est un raccourci
4.3) seul le G20 a l’envergure pour traiter d’égal à égal avec les puissances de l’argent ; l’Europe et les Etats-Unis peuvent contribuer à y imposer des règles – la France seule ne pourrait le faire
4.4) ce serait donc un extraordinaire paradoxe que la campagne présidentielle se joue contre l’Europe ; la voie de sortie n’est pas de bouder l’Europe – voire d’en sortir – mais de mener campagne avec les Européens contre les dérives actuelles
4.5) je voterai – même si c’est contradictoire – pour un candidat qui promet de remettre nos entreprises dans une situation – fiscalité, règlementation, équilibre des comptes – comparable à celle de nos voisins, qui sera résolument Européen et sera décidé à agir au sein du G20 pour sortir le monde de la philosophie dans laquelle il est englué
Daniel Gendrin
PS : je n’ai pas parlé ici des débats qui agitent les économistes – classiques contre « atterrés » – à propos de l’équilibre des comptes : ce papier est déjà beaucoup trop long ; j’y reviendrai