… La Bible dévoilée d’Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, archéologues israéliens, Jésus, approche historique de José Antonio Pagola, jésuite espagnol et la Résurrection Mythe ou réalité ? de John Shelby Spong, évêque épiscopalien américain …
3 religions, 3 analyses, un thème commun : qu’y a-t-il d’historique dans la Bible ?
une association chrétienne porte le nom poétique : la Bible n’est pas un conte, mais elle se raconte ; le sujet est bien là : la Bible est-elle un conte, ou une série de contes ?
l’Ancien Testament
qu’Adam et Eve soient les héros d’une légende, personne n’en doute – exception faite des fondamentalistes les plus obstinés, chrétiens, juifs ou musulmans – de même, tout le monde sait – aux mêmes exceptions près – que la Terre n’a pas été faite en 7 jours – ou six si l’on ne compte que le temps de travail
… soit dit en passant, les obstinés, cela fait beaucoup de monde, tant l’intégrisme fait des ravages un peu partout …
au delà du Livre de la Genèse, l’archéologie remet en cause – entre autres – l’Exode du peuple hébreu à travers le Sinaï, l’existence de murailles autour de Jericho au temps de Josue – vous savez bien, l’histoire des trompettes – et celle d’un grand Temple à l’époque de Salomon …
l’Ancien Testament, pour être l’histoire du peuple hébreu, n’est pas un récit historique
pour un catholique, cela ne pose pas vraiment problème : après tout, que l’Histoire Sainte apprise à l’école soit essentiellement symbolique, cela ne nous empêche pas de dormir
le Nouveau Testament
le Nouveau Testament nous pose un autre problème : comme les musulmans pour le Coran, nous avons appris que tout ce qui y est écrit est « parole d’évangile » ; poser la question de l’historicité des faits décrits peut paraître sacrilège
un indice pourtant : l’Eglise, dans sa grande sagesse, a retenu – dans une production bien plus importante – 27 livres – dont 4 récits de la vie de Jésus – pour fonder la nouvelle foi ; ces livres n’étant pas exempts de contradictions, la vie de Jésus est, en réalité, mal connue
Pagola, appliquant les méthodes des historiens, distingue dans les Evangiles ce qui relève de l’histoire de ce qui relève du mythe ou de la construction théologique
son livre a fait l’objet ici d’une note de lecture le 11 février 2014 ; je n’y reviens pas en détail ; il a été pour moi l’occasion d’une lecture d’une richesse exceptionnelle
toujours est-il que le principe même de ce livre – souligner ce qui dans les textes du Nouveau Testament ne peut être prouvé historiquement, voire ce qui est en contradiction avec des données historiques – ouvre la voie à une lecture distanciée – non littérale – de ces textes
Spong et la résurrection
la démarche de Spong, centrée sur la résurrection et qui s’appuie sur les textes canoniques, va plus loin
rappelons que les disciples de Jésus, quelques semaines après sa mort, sortent de leur silence et l’annoncent vivant ; ils fondent une communauté sur cette affirmation, basent leur vie sur elle et, pour la plupart, en meurent ; cela, c’est de l’Histoire
l’auteur relève qu’un seul témoin direct – une personne qui dit « je l’ai vu vivant » -, Paul, rapporte l’évènement
les autres textes sont écrits plusieurs dizaines d’années après la mort du Christ au coeur d’une communauté qui cherche comment décrire l’incroyable : il s’agit de dire que des gens qu’on a connus – eux-mêmes morts depuis – ont dit que Jésus, qui a été crucifié et qui en est mort, a été vu par eux vivant après son ensevelissement
Spong nous dit que ces juifs ont, pour décrire l’incroyable, usé d’un genre littéraire, le midrash, que l’on trouve encore dans la littérature juive d’aujourd’hui – par exemple, dans Les Disparus de Daniel Mendelshon ou dans Judas et Jésus, une liaison dangereuse d’Armand Abécassis
il nous dit que la aggada – l’une des trois formes du midrash – est le moyen d’« interpréter une histoire ou un évènement en le mettant en relation avec une autre histoire ou un autre évènement de l’Histoire sainte (p 24)»
le Nouveau Testament est pour lui un recueil de midrash qui racontent tous la même histoire, celle de Jésus, et cherchent à l’éclairer et à en donner le sens
dès lors, que ces textes soient souvent contradictoires importe peu puisqu’ils n’ont pas vocation à décrire les faits
je n’ai pas la place ici d’entrer dans le détail ; Spong décortique tous les textes de la résurrection
selon l’auteur – je simplifie – ce qui a été écrit par des juifs et selon une logique juive a été lu essentiellement par des grecs ; ceux-ci, ignorant la nature symbolique du texte, en ont fait – dès le deuxième siècle – une lecture littérale qui conduira au credo du Concile de Nicée ; nous baignons dans la théologie qui en est issue
celle-ci entre – au fur et à mesure que se découvrent les lois de l’univers – en conflit avec les connaissances scientifiques et rend le message incompréhensible et la foi chrétienne obsolète pour la plupart de ceux de nos contemporains qui ont accès aux données de la science
que reste-il ?
que reste-il, après tous ces travaux de déconstruction ? si L’Ancien et le Nouveau Testament sont des recueils de légendes, le message des Evangiles n’est-il qu’une mythologie de plus, plus sophistiquée que celle des grecs anciens mais tout aussi dépassable ?
d’abord, il reste l’Histoire :
elle nous dit les peuples qui cherchent depuis la nuit des temps à éclairer les mystères de la vie et qui, à mesure que la science répond aux questions, restent devant l’inconnu
elle nous dit l’aventure singulière du peuple hébreu qui se découvre et célèbre – encore aujourd’hui – un Dieu unique avec lequel entrer en relation
elle nous dit l’irruption dans ce peuple de Jésus qui, prolongeant cette tradition, le libère du carcan des coutumes et résume les commandements dans celui de l’amour ; il mourra de son succès
elle nous dit la bande des disciples terrorisés, fuyant la répression et qui, un jour, se redressent et affirment devant tous qu’ils l’ont revu vivant
elle nous dit aussi ces disciples transformant le monde de leur temps par la force de leur conviction – souvent jusqu’au martyre – et la puissance du message ; ce n’est qu’ensuite, après Constantin, que l’Eglise deviendra la puissance que l’on sait et imposera le message par la force
elle nous dit enfin et malgré tout le message de l’amour transmis à travers les âges par cette Eglise infiniment pécheresse
tout cela c’est de l’Histoire
ensuite, il reste le choix
l’Histoire nous dit que les disciples ont affirmé Jésus vivant
elle nous dit aussi qu’ils ont consacré leur vie – et, pour la plupart, leur mort – à cette annonce
le choix, c’est celui de leur faire confiance – ou pas
le choix c’est donc de croire que, si les textes ne disent pas ce qui s’est passé comme un historien le ferait, ils rendent compte de la réalité
enfin, il reste l’expérience
l’expérience de ceux qui – n’ayant pourtant pas vu Jésus ressuscité – se trouvent bien à suivre Jésus dans le silence de Dieu
choisir de lire les textes d’une manière non littérale – et choisir de les lire quand même au jour le jour – c’est le contraire de l’apostasie, c’est une libération
Daniel Gendrin