
le monde d’après sera-t-il différent ? … pas si simple …
de Xavier Gorce
dans le Monde le 6 avril 2020
avant de parler du financement, je veux revenir sur un débat qui fait rage depuis la sortie de la crise de 2008
1) quand on dépense plus que l’on ne gagne – c’est le cas en France depuis 45 ans – on n’est pas en austérité
2) la croissance de la zone € (cf. lien) depuis 2008 a été supérieure à celle des USA dont la politique a été plus expansionniste ; beaucoup d’économistes – dont des gens aussi sérieux que Daniel Cohen ou Gaël Giraud – disent que la politique suivie en Europe a étouffé la croissance ; c’est faux
3) d’où, aux États-Unis, un déficit important et une dette accrue, contrairement aux prévisions de ceux qui prétendaient que l’effet de la croissance compenserait celui des baisses d’impôts
4) enfin, les 0,7 % de pouvoir d’achat injectés par Macron suite à la révolte des gilets jaunes se sont retrouvés en épargne et pas dans la consommation, selon l’INSEE
j’ai cru nécessaire de rappeler tout cela car ces débats vont ressurgir
si le pouvoir d’achat est globalement maintenu aujourd’hui, c’est du fait de l’État qui prend en charge les dépenses des uns et des autres ; tout cela coûte cher et est pris en charge, en Europe, par les pays ; j’ai déjà parlé des ordres de grandeurs, encore inconnus, mais colossaux
remarquons qu’il s’agit pour l’instant de financer le coût direct, en quelque sorte déjà dépensé ou en train de se dépenser ; s’y ajoutera celui d’un éventuel plan de relance … sans parler de la transition écologique
3 solutions : l’emprunt, la planche à billet ou la confiscation de biens des grandes fortunes
pour le moment, on s’oriente vers la première et on parle, par exemple, pour la dette publique française, d’atteindre un niveau de 140 % du revenu national (en titre dans le Monde du WE passé)
remarquons qu’un accord unanime a été trouvé en Europe pour laisser les pays outrepasser les limites fixées par le traité de Maastricht pour le déficit et la limite de la dette
tant que les prêteurs – qui sont essentiellement des particuliers, à travers les instruments financiers que sont, par exemple, les assurances-vie ou des entreprises, comme les assureurs – pensent que les garanties sont suffisantes, on trouvera de l’argent et tant que les taux d’intérêts seront quasi nuls on peut imaginer rembourser un jour
c’est là que la BCE – qui s’affranchit, elle aussi, des règles fixées par ses statuts – intervient en garantissant pratiquement sans limite les dettes ainsi contractées par les États
on sait aussi que l’Europe va mettre la main à la poche (accord passé le 9 avril)
nous aurons donc les moyens de financer la crise, tant mieux !
ensuite ? il faudra rembourser et se poser les questions habituelles : austérité, déficit …
on peut aussi annuler la dette, battre monnaie ou confisquer aux plus riches
annuler ?
j’attire l’attention sur le fait qu’il est peu prudent d’en parler avant même d’avoir emprunté : il y a mieux pour motiver les prêteurs potentiels …
l’exemple des alliés qui, en 1953, ont annulé la dette allemande, facilitant ainsi sa reconstruction, est brandi comme un étendard par toutes sortes de gens, économistes ou non, pour dire « c’est possible »
c’est oublier que ceux qui ont accepté d’annuler la dette l’ont, eux, de fait, payée et qu’aujourd’hui tous les pays étant endettés, il n’y a personne pour payer
et puis la situation géopolitique n’a rien à voir : c’était une dette de guerre, infligée à un pays qui, rasé en 1945, était dans l’incapacité de la payer ; et puis, l’Allemagne était en première ligne de la guerre froide commençante … il fallait qu’elle puisse tenir …
par ailleurs, annuler ne change rien à la balance globale : on prend aux épargnants ce qu’on donne à l’État ; c’est un choix politique et un débat chaud : à qui prend-on ? jusqu’à quel niveau ?
on peut aussi battre monnaie, ou annuler les dettes achetées par la BCE, ce qui revient au même
remarquons qu’il faut l’accord de tous les pays de la zone Euro
par ailleurs, c’est une autre manière de faire payer les épargnants puisque l’inflation dévaloriserait l’épargne
sans parler du risque d’effondrement de l’Euro et d’hyperinflation : j’ai le souvenir précis d’avoir vu au début des années 50, dans mon village alsacien, des timbres allemands émis dans les années 30 à la valeur faciale surchargée au tampon d’une autre valeur libellée en milliards de Deutschemark ou peut-être de Reichsmarks; l’Histoire montre que nous n’avons pas besoin de cela …
en résumé; le financement se fera par l’emprunt, un prélèvement sur l’épargne ou la confiscation de biens des très riches ; à ce jour, on s’oriente clairement vers la première solution et, à court terme, c’est ce qu’il faut faire
mais il faut espérer qu’on n’en restera pas là … car la nouvelle crise – après d’autres, plus que d’autres – est l’occasion, tout le monde le voit, de construire un monde d’après différent …
… à suivre …
Daniel Gendrin