c’est la thèse centrale du livre : le capitalisme est basé sur ce que l’auteur appelle – il aimerait manifestement entrer dans l’Histoire pour avoir imposé des néologismes – le propriétarisme, qui est, en quelque sorte, la religion de la propriété privée
Piketty pense que tout régime, même totalitaire, pour être accepté par le plus grand nombre – et donc pour exister – doit s’appuyer sur un langage, une idéologie
il prétend ainsi que le capitalisme est fondé sur le respect du droit de propriété et que, sauf régulation, cela conduit mécaniquement à une société aux inégalités croissantes
Piketty, laïc s’il en fut, parle du culte de la propriété comme le livre de l’Exode parle du Veau D’or : le droit de propriété est, dit-il, devenu sacré
l’idée est déjà dans le Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau : « … le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile… »
une idée et des gens simples, le fondement d’une société
pour n’être donc pas neuve, l’affirmation est intéressante : les inégalités trouvent leur origine dans notre culture ; si l’on veut les réduire c’est à elle qu’il faut s’attaquer
mais comment la Révolution Française, qui fait inscrire au fronton des palais nationaux Liberté, Egalité, Fraternité a-t-elle bien pu engendrer une société aussi inégalitaire que celle qu’elle combattait et pourquoi a-t-elle sacralisé la propriété ?
Piketty y consacre une des parties les plus intéressantes de son livre (au chapitre 3) pour un Français éduqué dans le culte de la Révolution : celle-ci a « eu comme objectif premier de transférer les pouvoirs régaliens des élites nobiliaires et cléricales locales à l’État central … pas d’organiser une vaste redistribution de la propriété »
Condorcet, entre autres, pensait que poser le principe que chacun avait droit à la propriété suffirait à réduire les inégalités ; il n’était donc pas nécessaire de faire table rase des propriétés existantes
après débat, cette opinion l’a emporté et les révolutionnaires ont inscrit le droit de propriété dans le marbre de l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le rendant intouchable
et voilà l’origine des inégalités : il n’est pas un Français – ou si peu – qui ne pense que la propriété est inviolable
Daniel Gendrin