tenir le stylo … c’est une règle que ma mère aurait dû m’enseigner ; mais elle n’était pas dans ce registre … c’est en tous cas ce qu’a fait RTE* : le rapport que cette société vient de publier, Futurs énergétiques 2050, pour être le fruit d’une démarche participative inédite, présente tout de même quelques biais …
l’étude décrit comment, à l’horizon 2050, la France restera un producteur d’électricité décarbonée et peut remplacer les énergies fossiles utilisées dans l’industrie, les transports et les logements par des sources non émettrices de CO2
sur la démarche, rien à dire : RTE a réuni tout le monde, les ONG et EDF et les a invités à plancher tout au long de nombreuses réunions ; l’empoignade a dû être savoureuse
par ailleurs, sur un site dédié, tout un chacun a pu donner son avis ; RTE a obtenu par ce biais l’expression de plus de 4 000 opinions
des nucléophiles demandant l’arrêt de toute installation d’ENR aux écolos les plus purs exigeant l’arrêt du nucléaire demain matin, tout le monde a pu intervenir dans le dossier
bravo ! le travail est considérable et il était nécessaire : le parc nucléaire qui produit l’essentiel de notre électricité arrive en fin de vie, le développement des renouvelables a pris beaucoup de retard et il est évidemment indispensable de prendre des décisions à très court terme (au plus tard en 2022)
on ne trouvera ici qu’un aperçu synthétique de ce que je retiens de ce rapport ; en fin d’article je glisserai quelques remarques et une tentative d’avis sur les conclusions
après la phase collaborative, RTE a pris le stylo et a rédigé un brillant mais volumineux rapport dont la presse s’est fait l’écho et dont les principaux résultats sont connus
que dit ce rapport ?
1) la consommation
l’entreprise inscrit son étude dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) retenue par les pouvoirs publics en 2020 : pour satisfaire à l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, la baisse de la consommation régulière constatée depuis 20 ans devra se poursuivre à hauteur d’un peu moins de 1,7 % par an
à cette échéance, les deux sources d’énergie seront l’électricité bas-carbone – pour 55 % du total – et la biomasse
le scénario de référence prévoit, pour 2050, un besoin de 645 TWh d’électricité (35 % de plus qu’aujourd’hui) ; on trouvera en annexe la description des trajectoires étudiées de la consommation
NB : sont également étudiés un scénario « sobriété » (100 TWh de moins) et aussi un « réindustrialisation » (100 TWh de plus)
2 ) la production :
au fond la question, en France, – et l’objet de l’étude – c’est de savoir si on doit ou non construire de nouveaux réacteurs nucléaires
parmi tout l’éventail du possible, l’étude identifie 6 scénarios :
– les 3 scénarios M prévoient une production 100 % renouvelable à long terme
– les 3 scénarios N prévoient une production partiellement nucléaire à long terme
on trouvera ci-après le tableau qui résume l’articulation de la production dans chaque scénario
3) la problématique :
le coût de production des ENR est plus bas que celui du nucléaire mais elles sont intermittentes ; il faut donc prendre en compte le coût des équipements qui garantissent l’approvisionnement à tout instant ce que l’étude appelle les flexibilités
par ailleurs, leur production est plus diffuse ; il faut donc aussi tenir compte de la modification des infrastructures de transport
4) les résultats :
l’étude chiffre les 6 mix possibles en coût complet
les conclusions : à l’horizon 2050,
- il sera possible de produire 645 TWh d’électricité décarbonée à un coût acceptable
- il sera possible de le faire sans construire de nouvelles centrales nucléaires
- 5 des scénarios supposent un reliquat de production par le parc nucléaire actuel
- il n’est pas possible de produire plus de 50 % d’électricité nucléaire
mais :
- les scénarios 100 % renouvelables sont plus chers que les scénarios qui proposent la construction de nouvelles centrales
- et ils supposent un accroissement très important de l’effort d’installation des ENR
5) mes commentaires sur l’étude elle-même :
un travail fantastique ; pour une étude de cette importance – sur une problématique aussi controversée, particulièrement en France –, la méthode participative, le sérieux du traitement et la qualité du rapport sont exemplaires
cela dit on peut faire quelques remarques
5.1 ) faudra-t-il 645 TWh ?
gonfler les chiffres de consommation revient à rendre nécessaire le nouveau nucléaire
or, l’étude n’est pas totalement innocente sur au moins 2 points :
- si elle est prudente sur la croissance (le chiffre pris en compte est 1,3 % par an), elle prévoit une augmentation de la population de 4 millions d’habitants d’ici à 2050 ; certes, c’est la prévision basse de l’INSEE, mais si l’on ajoute la chute de la fécondité, la disparition des baby-boomers et la baisse prévisible – voire l’annulation – du solde migratoire, cet accroissement devient peu probable ; incidence potentielle – 36 TWh
- par ailleurs, l’étude prévoit un parc de véhicules particuliers constant dans les 30 ans qui viennent ; or, le SDES nous apprend que l’utilisation des transports collectifs urbains de voyageurs croît de 1,5 % par an dans la période récente (2014 – 2019) ; il est probable que le parc de voitures baissera d’ici à 2050 ; et puis, les autoroutes ferroviaires finiront bien par avoir de l’effet … incidence potentielle : au moins – 5 TWh
5.2 ) sur les flexibilités
- l’étude prévoit que, alors qu’en 2050 le parc sera électrique à 94 %, seulement 3 % des voitures utiliseront la procédure de revente d’électricité ; cela me paraît invraisemblable : le trajet domicile-travail médian est de 30 km aller-retour ; disposant d’une autonomie de l’ordre de 300 km, la moitié des automobilistes, partis le matin batterie chargée, rentreront le soir – avant le pic de consommation – avec un solde de charge de 90 % – sans parler des retraités – ; il serait étonnant qu’il y ait moins de 30 % des automobilistes pour revendre 18 centimes des KWh qu’ils auront achetés 12 ; incidence sur la flexibilité : de l’ordre de 15 TWh
au total, sans parler du scénario sobriété, les chiffres de consommation me paraissent gonflés d’une quarantaine de TWh pour la consommation et d’une quinzaine de TWh pour la flexibilité
sur 645 ce n’est pas rien …
5.3) sur les coûts
- les coûts de production de l’éolien et même de l’éolien en mer sont inférieurs à ceux du nucléaire, c’est maintenant admis par tout le monde … dont acte
- pour le solaire, l’étude prend en compte une durée de vie des panneaux de 20 à 25 ans ; c’est évidemment sous estimé : en réalité, cette donnée est inconnue : les parcs installés dans les années 90 sont encore en service et rien n’indique que ce ne sera pas encore le cas dans 10 ans ; Engie ou Total indiquent qu’elle est probablement de l’ordre de 40 ans et même EDF sur son site donne de 30 à 40 ans ! amortir sur 25 ou sur 40 ans ce n’est pas pareil : le coût du solaire est inférieur de 40 % à ce qui est indiqué dans l’étude
- pour ce qui concerne le nucléaire, l’étude indique que le niveau de coût du parc ancien prolongé va rester stable
- enfin le coût de construction des EPR est estimé à 9 Mds d’€ – dans l’étude, le coût de Flamanville se monte à 12 Mds – chiffre confirmé par la Cour des Comptes qui y ajoute 7 Mds pour les frais financiers et la mise en service soit au total 19 Mds … ; certes, fabriquer 6 EPR – voire 14 dans le scénario le plus nucléaire – fera bénéficier d’un effet série, mais, quand même, passer de 19 à 9 …
quand tu veux faire un Constat, tiens le stylo …
conclusion
la bonne nouvelle c’est qu’on va y arriver, à un coût acceptable
autre évidence : il faut prolonger la durée de vie des réacteurs actuels : on a pris tellement de retard dans le déploiement des ENR qu’il est manifestement impossible de faire autrement
si l’on tient compte des optimisations qu’a pratiquées le porteur de stylo, il serait possible d’y arriver sans nouveau nucléaire – et probablement pour un coût comparable, voire inférieur – mais cela nécessiterait des efforts considérables en matière d’installation d’ENR, efforts que manifestement, la société française n’est pas prête à faire
les X-Mines ont gagné et leur campagne de dénigrement des ENR, intelligente et qui remonte à des années, est couronnée de succès ; celle qui s’ouvre pour la présidentielle le montre à l’évidence : ils auront leurs nouveaux joujoux – à supposer qu’ils y parviennent …
et on ne peut même pas dire que les écolos auront perdu puisqu’ils se seront opposés systématiquement à tout projet important d’installation d’ENR, qu’il soit solaire ou éolien
Daniel Gendrin
PS : je ne parle pas ici des mini centrales ; imaginez que certains les voient en ville ou au cœur de grandes entreprises …
en PJ : les trajectoires de consommation et les scénarios de mix de production
*RTE : Réseau de Transport de l’Electricité ; c’est l’entreprise qui assure le transport de l’électricité – comme son nom l’indique – des centrales qui produisent jusqu’à ENEDIS, l’entreprise qui nous raccorde

