impossible aujourd’hui de ne pas chercher à s’en faire une idée …
1) l’objectif est financier
comme la réforme de la durée d’indemnisation du chômage, le report de l’âge de départ à la retraite a pour but d’équilibrer des comptes
ce n’est pas compliqué : un chômeur en moins, ce sont des indemnités qui ne seront plus versées et des cotisations qui vont rentrer ; un retraité en moins, c’est une retraite qui ne sera pas versée et des cotisations qui vont continuer à rentrer ; c’est donc, à chaque fois, double bénéfice pour les Caisses concernées, pour le commun
j’ai lu quelque part que le gouvernement imagine 150 000 chômeurs de moins et 300 000 reports de départs en retraite ; quelle que soit la validité de ces chiffres, cela fera des milliards d’économie
et c’est le but
2) nécessité de la réforme
on la dit inutile puisque le régime des retraites sera en excédent en 2023 et que s’il retrouve ensuite un déficit ce n’est que pour quelques années
cet aphorisme appelle deux réponses :
- tout régime doit être à l’équilibre – voire légèrement excédentaire, par prudence – tous les ans, faute de quoi il accumule les dettes qui devront être payées ensuite
- et puis les calculs du COR, l’organisme chargé de la question, sont basés sur les prévisions du gouvernement – dont celle d’un taux de chômage à 5 %, – lesquelles dépendent des mesures projetées … sans ces mesures, malgré les prévisions du COR, pas d’équilibre …
3) que change cette réforme ?
le report de l’âge de départ en lui-même ne touchera en définitive pas grand’monde puisque sont maintenus les dispositifs les carrières longues, que la pénibilité sera un peu mieux prise en compte et que la date de départ effective se déconnecte progressivement de la date de départ théorique, les salariés partant déjà en moyenne à 63 ans et tendanciellement de plus en plus tard
après 2027, sauf pour les carrières longues – on pense en particulier aux apprentis, dont on sait le nombre croissant – les règles pour ceux qui veulent partir à taux plein seront : départ à 64 ans pour les Bac+2 et départ au plus tard à 67 ans pour les Bac+5 , c’est à dire à peu près les âges prévus par la réforme Touraine* mais 7 ans plus tôt ; c’est cette accélération qui aura des conséquences pour les actifs qui sont nés avant 1973
à ce point du raisonnement, on peut se demander pour quelles raisons – autres que politiques – Emmanuel Macron a tenu à reporter l’âge de départ : il suffisait d’avancer l’échéance de la réforme Touraine à 2027 pour obtenir le même résultat, à très peu près
4) cette réforme est-elle juste ?
il semble bien que ceux qui seront touchés, par définition des travailleurs, se situeront dans la classe moyenne, au-delà du 3ème décile des revenus, et pas les plus défavorisés
les hauts revenus, qui sont entrés tardivement dans la vie active et ne sont plus dans la première jeunesse, ne seront pas touchés ; ils partiront à 67 ans comme prévu par la loi en vigueur
au bout du compte, il restera 3 catégories : ceux qui vont pouvoir partir tôt (58 ans ou 60 ans), ceux qui partiront à 64 ans et ceux qui partiront à 67 ans
on sait que l’écart d’espérance de vie entre les travailleurs manuels et les autres est de 6 ans ; ils vont partir entre 3 et 9 ans avant les autres …
5) partir usé
si l’on part usé, ce n’est pas parce qu’on part tard, c’est parce que les conditions de travail ne sont pas – ou plus – normales
le travail manuel a toujours été usant ; si l’on veut maintenir les seniors au travail, il est plus que temps de mener activement une politique de réduction de l’usure du travail manuel ; cela se fait ailleurs, pourquoi pas en France ?
dans le cas des cols blancs, le rythme de la vie s’est accéléré au point d’atteindre parfois le point de rupture : nous connaissons tous des salariés contraints, sur injonction médicale, d’interrompre leur activité ; outre le fait que « ça coûte un pognon de dingue », c’est complètement anormal
c’est de la responsabilité des entreprises, des syndicats et de la puissance publique
le combat légitime est de faire vivre, dans les entreprises, à un rythme raisonnable des salariés en bon état plutôt que de les user jusqu’à la corde et d’être contraints, aux dépends du commun, de les faire partir plus tôt
6) alternatives
je simplifie (on pourra revenir au besoin sur chacun des points)
a) accepter de reporter le déficit sur les générations suivantes
b) baisser les pensions
c) augmenter les recettes :
- prendre sur les entreprises, mais c’est prendre sur le commun, c’est un jeu à somme nulle
- prendre sur les actionnaires, mais c’est prendre sur l’emploi
- reporter au-delà de 67 ans l’âge de départ des catégories aisées
7) conclusion
le gouvernement a estimé qu’aucune des alternatives n’était bonne
il pourrait se contenter d’accélérer les échéances de la loi Touraine ; compte tenu des mesures sur les carrières longues, la revalorisation de la pension minimale et le retour de critères de pénibilité, il y aurait un deal possible avec la CFDT
mais cela ne fait pas une majorité : la CFDT n’est pas au parlement, la NUPES veut le retour à 60 ans et la droite a besoin d’un report de l’âge …
n’ayant ni majorité ni interlocuteur à gauche, Macron est contraint de trouver un deal avec la droite
le PS a montré, sur le projet de loi des renouvelables, que quand elle négocie, la gauche influence les projets ; dommage qu’elle n’ait pas voulu négocier celui-ci
Daniel Gendrin
*la loi Touraine a été votée sous François Hollande ; elle prévoit de porter, en 2035, à 43 le nombre des annuités nécessaires pour partir en retraite à taux plein ; le présent projet prévoit d’en avancer l’échéance à 2027
PS : on trouvera une autre analyse intelligible dans l’article de Telos
merci pour ton analyse. En effet, l’accélération du nombre de trimestres aurait peut-être suffi à équilibrer. J’ajoute juste que pour les carrières longues, il y a 3 seuils à 58, 60 et 62 ans désormais, de sorte que nul ne cotise plus de 44 ans avant d’atteindre l’âge légal
J’aimeJ’aime
j’ajoute aussi que les retraites sont d’ores et déjà pris en charge à 30% environ, on n’est pas dans la pure répartition.
J’aimeJ’aime