on trouvera ci dessous la contribution de Michel Weill, ancien directeur scientifique de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail)
la publication ici de cette contribution, opposée à la réforme proposée par le Gouvernement et en discussion au Parlement, a vocation à aider à la réflexion de mes lecteurs ; je garde évidemment la liberté de la commenter
dans un prochain article je commenterai, dans le foisonnement d’informations qui circulent, un éditorial du Monde qui présente démographie et immigration comme deux sujets tabous dans le débat, un décryptage de la réforme par la CFDT et un article d’Olivier Mériaux le successeur de Michel Weill à l’ANACT ; il est bien entendu exclu de commenter tout ce qui est publié
Mon cher Daniel,
Félicitations pour ton papier sur les retraites, extrêmement documenté et qui pose très bien le problème. Je n’en partage néanmoins pas certaines conclusions majeures. Je reconnais que ma position relève plus de vision et de stratégie politique que d’un point de vue purement économétrique, voir comptable. Je n’ai pas oublié depuis l’université qu’il n’existe d’économie que politique.
Je me félicite d’abord du temps enfin donné au débat qui a permis d’une part de faire évoluer le projet de loi dans des proportions non négligeable, 64 au lieu de 65 ans, ce n’est pas rien, ainsi que les mesures d’accompagnement pour les carrières longues et la pénibilité qui ont été améliorées. Cela n’épuise malheureusement pas le sujet loin de là. Ce débat a aussi permis certaines prises de conscience et affinement de points de vue sur des sujets complexes, y compris au sein de notre club où certains au moins d’octobre s’affirmaient pour la retraite à 65 ans…et ont maintenant compris que la durée de cotisation était un critère infiniment plus juste, évitant la double peine de la durée de travail…et de l’inégalité d’espérance de vie entre groupes sociaux, dimension que tu n’abordes pas. 6 ans d’espérance de vie entre ouvriers et cadres supérieurs, c’est un tiers de l’espérance de durée de vie en retraite, une paille ! Je te renvoie sur ce sujet à l’excellent article de Sébastien CROZIER, patron des cadres d’Orange CFE-CGC, dans le Monde du mercredi 18 janvier (ci-joint).
La deuxième question est celle des finalités de la réforme. Je ne m’abaisserai pas à aborder la question d’une éventuelle finalité purement politicienne, quoique…mais ce n’est pas ma compétence. Si on s’en tient aux finalités explicitement et successivement énoncées par le Président comme par ses ministres et les responsables de Renaissance, on reste pour le moins très interrogatif. Comme le dit très bien Solenne de Royer dans sa chronique du Monde du 10 janvier « En septembre 2022, (le président) assurait que cette réforme était indispensable pour se donner des marges de manœuvre budgétaires et investir massivement dans la transition écologique, l’école et l’hôpital…A l’automne 2021, il expliquait que la réforme pourrait servir à financer la loi sur le grand âge. Itou pour Bruno Le Maire en septembre et Gabriel Attal : « cela servira à financer nos politiques industrielles, de transition écologique ou sociale ». En janvier, changement de discours dans l’entourage du président (Olivier MARLEIX) : « dites à vos ministres d’arrêter d’affirmer que la réforme des retraites servira à financer autre chose que les retraites ! Vous créez une ambiguïté sur le sens du projet, et cela parasite votre message, vis-à-vis de l’opinion et des syndicats. » C’est pourquoi je me garderais bien de rentrer en détail comme tu le fais sur la question de l’équilibre prévisionnel des régimes de retraites, d’abord parce que je ne me sens pas les compétences pour discuter des chiffres successifs et contradictoires sur le sujet et ensuite parce que cela ne me parait pas la première préoccupation du gouvernement, qui est plutôt de trouver de l’argent frais pour faire des choses effectivement fort nécessaires, tout en tenant son engagement de ne pas augmenter, voire de continuer à baisser les impôts, ce que son électorat attend. A ce stade, la question n’est plus l’équilibre des retraites, mais le financement des dépenses publiques. On sait bien que tout est fait pour que l’impôt progressif sur le revenu voit sa part réduite comme peau de chagrin, aujourd’hui notamment par les primes et dégrèvements divers, non soumises à cotisations et impôt sur le revenu. Il n’est même pas besoin de parler d’impôt sur la fortune ou de flattax. Ne pas faire cette approche systémique, fort bien développée par Thomas Picketty encore sur France inter ce matin, c’est tromper son monde, et volontairement : on peut reprocher beaucoup de choses au président et à ses proches, mais pas d’être des imbéciles ; ils savent de quel côté ils sont.
Sur les propositions de LFI, je partage totalement ton point de vue d’autant plus que ses adeptes s’accrochent au concept d’âge de départ dont nous sommes maintenant tous convaincu que c’est, quel qu’il soit, 60, 62, 64, 65 ans, une source majeure d’injustice sociale. D’où la vieille revendication de la CFDT de la retraite à points dont on sait ce qu’elle est devenue…et aussi ce qu’elle a produit de positif dans les retraites complémentaires dont le gouvernement vient d’échouer à mettre la main dessus. Ayons un peu de mémoire.
C’est pour toutes ces raisons que je pense que, comme tu le dis parfaitement en citant la loi climat, il faut se battre pour revendiquer la seule notion de la durée de cotisation comme critère de prise de retraite ; pourquoi le PS et les verts ne s’affranchiraient-ils pas une fois de plus des positions effectivement délirantes de LFI si la CFDT arrivait à entrainer majoritairement les syndicats sur cette position de justice ? L’homme ne se nourrit pas seulement de pain… c’est le sentiment d’injustice qui nourrit la haine et la révolte. Les technocrates et leurs raisonnements comptables et froids, voire machiavéliques, devraient pourtant l’avoir appris depuis le temps.
Michel Weill
il me semble également qu’il eût suffit d’accélérer le calendrier de la réforme Touraine ; cela n’aurait peut-être pas été beaucoup moins douloureux mais aurait été plus simple et peut-être plus acceptable
par ailleurs, l’objectif de la réforme est de réduire un déficit ; c’est tellement évident que Macron aurait été mieux inspiré de le dire plutôt que d’aller chercher toutes sortes de prétextes … je partage sur ce point l’avis de Michel Weill : à force de dire des sottises aux Français on embrouille tout
enfin, en ce qui concerne l’espérance de vie, selon qu’on est femme ou homme la différence est de 3 ou 6 ans entre les cadres et les ouvriers
selon les cas, ceux-ci partiront entre 58 (surtout s’ils ont été apprentis) et 64 ans quand ceux-là le feront vers 67 ans ; les ouvriers partiront donc entre 3 et 9 ans plus tôt que les cadres …
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